Au commencement, il n’y avait rien.
Je suis devenu manager d’équipe par la force des choses, presque par accident. Premier membre opérationnel d’une équipe qui allait se pérenniser et se structurer pour devenir un pôle d’activité, je suis devenu “le manager” car j’étais le premier. J’ai donc découvert l’activité managériale par le terrain, en partant de zéro, sans aucune formation ni préparation.
J’ai navigué à vue quelque temps comme ça, en manageant au feeling, sans vraiment savoir ce que je faisais, et si je le faisais bien. J’ai gagné ma légitimité de manager aux yeux de l’équipe principalement par l’exemple, car ce que je demandais de faire aux membres de mon équipe, je l’avais déjà fait avant eux. Mon équipe était aussi reconnaissante de ma bienveillance (réelle) à leur égard et de ma patience. J’ai continué comme ça quelques mois, usant du bon sens pour mettre en place des processus et de ma volonté réelle de créer un climat d’entraide et de confiance au sein de l’équipe. Suite à cela, l’idée que mon style managérial était efficace et qu’au sein de mon équipe il faisait bon travailler s’est rapidement installée.
Malgré cette réussite, je n’ai pu éviter la traditionnelle formation au management, sorte de passage obligatoire pour espérer évoluer plus tard dans la structure. C’est une coach personnelle en management qui s’y est collée et qui m’a formé aux pratiques managériales : connaissance de soi et de ses leviers de motivation, techniques et méthodes de recrutement, construction de la complémentarité des compétences et des équipes, analyse et encadrement des profils, définition des objectifs et suivi, évaluation de performance, etc.
Pour être honnête, à l’époque cette formation m’avait paru assez utile, elle avait notamment le mérite de mettre des mots sur des choses que j’appliquais jusque-là par intuition et réflexes. Toutefois, bien qu’ayant mis en place ces méthodes et outils nouvellement appris au sein de mon équipe, j’ai toujours nourri certains doutes quant à l’efficacité et à l’utilité réelle de tout cela.
J’ai continué un temps comme cela jusqu’à changer d’orientation en devenant consultant. Durant cette nouvelle période, j’ai pu faire l’expérience de plusieurs logiques managériales en tant que managé cette fois-ci et me suis forgé un solide esprit critique vis-à-vis notamment de la montée en puissance des méthodes de développement personnel au sein des entreprises et du culte de la performance.
En croisant mon expérience initiale de manager “traditionnel” avec ma constatation de l’absurdité managériale que l’on peut percevoir quand on est managé, j’ai fini par prendre conscience d’une chose : j’étais certainement un meilleur manager quand je n’étais pas formé au management et tout ce que j’avais appris à ce sujet était au minimum inutile, au pire tout à fait contreproductif, voire toxique.
Exit le flicage, les objectifs quantitatifs, la maîtrise de l’information, les revues de performances, les salaires variables indexés sur des objectifs théoriques intenables, les KPI, les team building et autres one-to-one robotiques imposés. Ma candeur et ma naïveté managériale initiale faisaient de moi un meilleur dirigeant d’équipe car, faute de méthode, je n’avais d’autre choix que de m’en remettre à la confiance.
La confiance comme seule méthode, les conditions de travail comme seul objectif.
“Quand tu prends confiance en la confiance, tu deviens confiant.” JC Van Damme
La confiance, l’alpha et l’oméga du management.
“La confiance n’exclut pas le contrôle”, cette maxime attribuée à Lénine reprise à toutes les sauces est certainement la pire des absurdités. Justement, la confiance évite le contrôle et c’est son seul et unique objet. C’est à ça que ça sert la confiance, supprimer le contrôle et toutes les tentations interventionnistes et bureaucratiques qui font qu’on finit par recruter des gens intelligents et leur dire quoi et comment faire. Le micro-management, pourtant tant décrié aujourd’hui, est certainement le résultat de cet état d’esprit, “je te fais confiance, mais je vais vérifier quand même”. NON ! S’il y a confiance (et la volonté de faire confiance), il n’y a pas de contrôle.
Évidemment, la confiance n’exclut pas les discussions, les échanges, les conseils, n’invalide pas la mise en place (si nécessaire et demandée) d’un cadre de travail avec des points d’étape et des mesures. Le contrôle est sémantiquement la vérification et la domination, pas grand-chose à voir avec la confiance.
Les conditions de travail comme seul objectif.
Ce sont les conditions de travail qui font les résultats. Deux personnes identiques auront des résultats de travail très différents selon qu’elles soient dans un environnement propice ou non, et ce quel que soit leur talent. Temps de trajet, compétences et culture du manager, culture de l’équipe et de l’entreprise, organisation des tâches et des responsabilités, définition et clarté des objectifs, honnêteté et bienveillance relationnelle… tous ces facteurs impactent directement et de façon majeure la capacité de n’importe quelle personne à exercer son travail avec talent.
La course effrénée aux talents laisse penser qu’il suffirait de trouver et recruter ces perles rares surdouées pour qu’il n’y ait plus de problème et que la performance décolle comme par magie. C’est tout le contraire. La course au talent est en réalité une fainéantise managériale qui détourne l’attention de ses véritables responsabilités. Se construire une équipe de prétendus talents n’est en rien une garantie de succès, surtout si on ne prête pas attention aux conditions de travail. Mettre en place et maintenir d’excellentes conditions de travail est au contraire la condition pour garantir que quiconque pourra exercer son talent et contribuer aux bons résultats d’une équipe.
Je serais même tenté d’aller plus loin, je pense que les “talents” n’existent tout simplement pas. Il n’y a que des personnes talentueuses dans des contextes donnés. Une personne géniale dans un contexte va être mauvaise (sans jugement de valeur) dans un autre. En somme, il n’y a pas de talent, il n’y a que des conditions de travail propices à être talentueux.
De la même manière, le profil et la personnalité ne font pas le talent et les bons résultats. Ces éléments, par ailleurs potentiellement changeants ou tout au moins propices à évoluer, peuvent être efficaces dans un contexte et totalement contre-productifs dans un autre.
C’est pour toutes ces raisons que le seul objectif du manager devrait être la maximisation de la qualité des bonnes conditions de travail de son équipe, le seul facteur ayant une influence significative sur les résultats.
No management is the new management
On a tous intégré l’idée que manager c’était diriger, donner des ordres, décider pour les autres, avoir de l’autorité et du pouvoir sur le destin professionnel de son équipe, être partout, occuper le terrain, en somme que manager c’était être devant et que tout cela était tout à fait normal et admis.
Mes expériences m’ont convaincu du contraire, manager c’est pour moi davantage servir, se mettre en retrait, assurer les arrières, sécuriser, encourager depuis le côté, laisser la place, donner la direction et s’effacer, se faire oublier.
L’évaluation du succès du manager passe, je crois, par le fait de s’être rendu totalement dispensable, voire inutile. Si les conditions de travail et donc du succès ont été correctement installées, le manager n’a plus d’utilité que celle de veiller et d’intervenir quand les problèmes surgissent, ni plus ni moins. Pas facile quand on a soi-même tenu les fonctions qu’occupent aujourd’hui les membres de son équipe.
En somme, avec l’expérience, le temps et le recul, j’ai pris conscience que la meilleure façon de manager une équipe était de ne pas la manager.