L’ux designer est-il un designer partiel ?

IAMUX
6 min readOct 11, 2020

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Photo de Paula Schmidt provenant de Pexels

A chaque fois que j’y songe, et j’y songe souvent, je ne peux m’ôter de l’idée qu’un truc cloche avec mon job d’ux designer. Je constate que cela fait absolument sourire tout le monde quand je dis que mon métier est de concevoir des expériences. Le pire c’est que je suis souvent bien en peine d’expliquer de manière simple à des néophytes ce que signifie concrètement designer des expériences utilisateurs.

Pourquoi personne ne comprend simplement ce qu’est l’ux design ? Je crois que c’est parce que l’ux design porte en lui une contradiction et une incohérence que nous avons fini par oublier. Peut-on associer quelque chose d’aussi abstrait que l’expérience et quelque chose d’aussi concret que le design ? C’est vrai, n’importe qui de normalement constitué fait les gros yeux quand on lui laisse penser qu’il est possible de concevoir quelque chose d’aussi peu tangible qu’une expérience. Concevoir une expérience semble davantage être un concept qu’un acte concret, comme concevoir un sentiment. Un sentiment jaillit, il est la conséquence de nombreuses choses plus ou moins volontaires et plus ou moins contrôlables, il ne se design pas. N’est ce pas exactement la même chose pour l’expérience ?

Concevoir une expérience est un non sens. L’expérience d’un produit est la conséquence de l’utilisation de ce produit qui lui est conçu à dessein, celui de créer et d’apporter de la valeur à son utilisateur.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas chercher à créer des expériences positives pour les utilisateurs, je dis qu’en cherchant uniquement à concevoir une expérience, on peut passer à côté de l’essentiel. On détourne notre attention du sujet principal, le produit lui même (ou le service) et la valeur qu’il crée pour les utilisateurs, on se perd dans des considérations métaphysiques, on oublie ce qui fait l’essence du design : fabriquer des choses qui vont améliorer la vie des personnes. Ce que je cherche à dire c’est qu’une bonne expérience est une conséquence de l’usage d’un bon produit/service. À force de vouloir concevoir l’expérience, on finit par ne pas concevoir le produit/service. Il semble pourtant évident qu’un designer conçoit avant tout des produits/services et qu’ils doivent de fait générer des expériences positives pour ceux ou celles qui les utilisent.

Mais alors pourquoi insister autant sur quelque chose qui semble aller de soit et se sentir obligé de préciser qu’on conçoit des expériences et d’en faire une spécialité au point d’avoir créer le métier d’ux designer ?

La faute du marché ?

Dans les années 90, Don Norman a fait émerger l‘ux design quand on souffrait de ne voir limité le design qu’aux interfaces (ou à la surface) et qu’il était nécessaire de comprendre que pour concevoir un produit/service il fallait réfléchir plus grand, aller au delà des écrans et penser l’expérience dans sa globalité.

L’engouement qui s’en est suivi autour du design d’expérience a eu énormément d’effets bénéfiques, contribuant à faire prendre conscience aux entreprises de l’importance du design en tant que discipline mais surtout de réintégrer le besoin et l’utilisateur dans le champ de la réflexion. Comme l’agilité qui a questionné l’efficacité des méthodes de développement informatique, l’ux design a aussi remis pas mal de choses en perspective autour de la compréhension des utilisateurs.

Toutefois comme tout nouveau concept, l’ux design a trop souvent été dévoyé et s’est imposé au détriment du design au lieu de le renforcer.

Les lois immuables du marché étant ce qu’elles sont, l’ux design est devenu à la mode et il est devenu très juteux pour beaucoup de se positionner sur ce nouveau créneau. Pris par le temps et l’appât du gain on s’est mis à fabriquer à la chaine une nouvelle génération de designers à qui on a fait assimiler quelques fondamentaux minimums et que l’on a envoyé au front rejoindre cette nouvelle armée de designers partiels.

Peut-on les blâmer pour autant ? Mis sur le marché avec un éventail de compétences ultra réduit, ces designers partiels disposent quand même des connaissances suffisantes pour répondre à 90% des besoins des entreprises au vue de l’immaturité évidente de celles ci sur le design.

Cette pratique approximative et partielle du design a suffit dans beaucoup de cas à améliorer un grand nombre de choses là où de toute façon il n’y avait rien.

Ajouter à cela quelques méthodologies faciles à vendre avec quelques mots clés bien choisis et vous disposez des recettes magiques clés en main permettant à moindre coût de vendre l’idée qu’il est facile de transformer n’importe quelle interface codée avec les genoux en bijoux de l’expérience utilisateur.

Et c’est comme cela que pris à notre propre jeu le concept d’ux design initialement pensé pour redonner ses lettres de noblesse au design est devenu un produit marketing, vidé de sa substance, maquillé et packagé pour vendre efficacement un maximum de prestations à toute entreprise désireuse de se mettre à la mode de l’UX design.

Est ce qu’on peut considérer cette nouvelle génération de designers partiels comme des designers ?

Edward de Bono, psychologue, médecin et spécialiste en sciences cognitives, à qui on doit entre autres Les six chapeaux de la réflexion disait de la créativité que c’est « de l’efficacité inattendue ». Je trouve que c’est de loin une des meilleurs définition qui ai été donnée de la créativité et c’est bien là ce qui fait, d’après moi, le coeur de la qualité d’un designer.

Pour moi un designer est un esprit qui porte un regard à la fois critique et bienveillant sur les choses et qui cherche dans chaque problème à résoudre une raison d’améliorer le monde. Pour cela il va utiliser des méthodes, des pratiques et des outils adaptés pour comprendre un contexte donné, imaginer et rendre concrètes des solutions qui vont générer de la valeur pour les personnes concernées. Il est tout autant pragmatique qu’il est imaginatif, c’est un créatif au sens premier du terme, c’est un créateur de valeur.

Mais pour créer de la valeur le designer doit s’appuyer sur un très large spectre de compétences : value proposition design, users research, uxwritting, idéation, prototypage, users testing, design d’interfaces, design d’interactions, AB testing … Autant de notions et de concepts auxquels correspondent autant de compétences à maitriser pour embrasser un tant soit peu ce qui fait l’exercice du design.

C’est certainement cette grande diversité de compétences qui a favorisé la spécialisation et fait émerger autant de dénominations différentes de métiers du design, avec en tête de file les très demandés UX designer et UI designer. Sauf que l’ux design entre autres et disons tous ces métiers en “quelque chose designer” semblent être davantage des champs de compétences du design que des métiers à proprement parler.

Pour autant, faut il impérativement maitriser l’ensemble de ces compétences pour être considéré comme un designer ? Il y a t-il besoin de maitriser tout cela pour commencer à faire du design ? Si oui cela signifie que ne maitriser que quelques uns de ces champs fait de nous des designers incomplets, ce que j’appelais précédemment des designers partiels.

Pourtant nous sommes tous plus ou moins des designers partiels. Aucun designer honnête ne peut se targuer de maitriser parfaitement la totalité de ces compétences.

Mais alors, une pratique partielle du design peut-elle être considérée comme du design ? Est ce que mener des interviews utilisateurs, créer des persona et des users flow et ne faire que cela fait de nous des designers ? Est ce que réaliser des wireframes et ne faire que cela fait de nous des designer ? Est ce que faire des maquettes pixel perfect sous Sketch pour des développeurs et ne faire que cela fait de nous des designer ?

Ces derrières années ont vues émerger de très nombreux profils de designers partiels ne maitrisant pas tout le scope nécessaire du design. Pourtant on n’a jamais autant parlé du design, il n’y a jamais eu autant de demandes et de considérations autour du design et c’est finalement ça qui importe le plus.

Ce que je trouve intéressant en introduisant la notion de designer partiel plutôt que de chercher à catégoriser et opposer les spécialisations c’est que de cette manière nous sommes tous des designers en devenir et que même si nous ne maitrisons qu’un minimum de choses, c’est une entrée en matière et une invitation à en apprendre plus. Et puis pourquoi ne pas admettre qu’à partir du moment où on fabrique des trucs, on peut déjà se dire qu’on est sur la bonne voie pour augmenter notre capacité à designer ?

Vous l’aurez compris, je n’ai pas de réponse toute faite à la question et loin de moi l’idée d’imposer d’une quelconque façon mon point de vue. La question reste entière et mérite je pense d’être débattue, non ?
😁

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