Où est passé le Design Thinking ?

Quelle place pour la fonction design en startup ?

IAMUX
5 min readJul 18, 2023
Photo by Daisy Anderson from Pexels

Design Thinking VS Product Design

Le Design Thinking a tellement été présenté comme une simple méthodologie (car plus facile à vendre) qu’il ne peut plus être envisagé par les décideurs comme un élément constitutif et fondamental de la culture d’entreprise et donc, par essence, comme un élément décisif dans le succès de celle-ci.

Il en va de même pour le LeanUX qui, à la lecture des nombreux billets publiés à son sujet, est résumé bien trop souvent à une méthode permettant d’appliquer l’UX design à la petite semaine sur n’importe quel projet agile.

À force de raccourcir, d’amoindrir, de méthodologiser sous couvert de vulgarisation et de commercialisation, on a abêti le marché qui en est venu à mettre au même niveau l’état d’esprit, les savoirs, les méthodes, les processus et les outils, conduisant au nivellement par le bas de la fonction design et faisant du designer, dans la plupart des cas, un exécutant technique dont la plus-value se résumerait à sa seule capacité de production.

Il est facile de le constater en prenant les offres d’emploi de product designer, par exemple. À la lecture de la plupart des attentes du poste, c’est clairement l’opérationnel qui prédomine, et la capacité à produire des livrables l’emporte sur celle de mettre en place des cadres de travail ou d’installer un mindset design au sein d’une équipe.

Les startups françaises semblent attendre en effet que ces profils soient davantage des makers que des thinkers, et qu’ils jouent un rôle opérationnel de production et de fabrication en lien étroit avec des développeurs. Le product designer fait partie de l’équipe de fabrication du produit ; il est normal qu’on les recrute uniquement sur la base de portfolios époustouflants et de dribbbles rutilants.

Mais exit la vision produit, l’UX, les méthodologies, les ateliers, les tests, les analyses, les phases de conception sur papier. Il faut sortir de la maquette et du composant pour enrichir le design system. Pour tout le reste, il y a les product managers pour s’en occuper.

C’est quoi le Design Thinking ?

Si on se fie à la définition wikipédienne, le design thinking, “pensée design” en français dans le texte, est une méthode de gestion de l’innovation élaborée à l’université Stanford aux États-Unis dans les années 1980 par Rolf Faste, reprise par Jeremy Gutsche et finalement popularisée par Tim Brown d’IDEO.

Synthèse entre pensée analytique et pensée intuitive, le design thinking relève du design collaboratif et implique les usagers dans un processus de co-créativité. C’est ce dernier point qui a notamment popularisé ensuite l’UX design, plaçant l’utilisateur final au centre dans les processus de conception de produits et services à une époque où les méthodes classiques de développement informatique considéraient l’utilisateur davantage comme une nuisance que comme une partie prenante essentielle.

À l’époque, tout cela semblait être tout à fait innovant et frappé du bon sens, mais on a vite oublié que c’est de cette façon que les designers travaillaient déjà depuis des décennies, en tenant compte de l’usager.

Le Design Thinking est donc une manière de faire en sorte que des ingénieurs, des chefs de projets, des responsables métiers, entre autres, pensent eux aussi comme des designers afin de contribuer à fabriquer des produits et services qui répondent mieux aux besoins des utilisateurs.

Malgré le chemin parcouru, on est toutefois loin d’avoir généralisé cette manière de penser partout et surtout là où elle est le plus essentielle, au sein des fonctions de direction.

Où sont les Chief Design Officers ?

Les startups notamment gagneraient à mieux considérer le design thinking lorsqu’elles recrutent leur premier designer, notamment en se tournant vers des profils de designers plus stratégiques.

Loin des besoins très opérationnels présents dans la plupart des offres que j’ai pu lire (avec comme pré-requis quasi systématique la mise en place d’un design system), les startups gagneraient à recruter, comme premier designer, quelqu’un capable de comprendre la culture de l’entreprise et sa raison d’être afin de l’aligner avec la vision du produit (et donc sa conception profonde). Quelqu’un capable d’identifier les besoins internes en termes de design au regard de la maturité de la startup sur ces questions et de proposer l’organisation adéquate. Quelqu’un capable de mettre en place la culture et les méthodes permettant à la startup de développer une réelle approche centrée sur les utilisateurs. Quelqu’un capable de connecter au plus tôt le design produit avec le design de marque et la communication.

En somme, quelqu’un capable de positionner le design au plus haut niveau stratégique et de faire de la fonction design, non plus l’aiguillon opérationnel des équipes produit, mais bien l’entité stratégique qui construit la vision produit et la fait exister et évoluer dans le temps. Et tout cela a bien plus à voir avec le Design Thinking que les design systems ou les derniers plugins en vogue dans Figma.

Idéalement, il faudrait même que ce premier recrutement de designer soit l’un des premiers recrutements dans les équipes produit. Ainsi, la culture design impulsée dès le départ conduirait à installer le design comme un élément déterminant dans la définition de la vision produit et donc dans le business de l’entreprise.

Mais bien souvent, les designers arrivent tard dans le processus de construction des équipes produit et la culture produit s’est déjà installée avec une vision très/trop opérationnelle du design. Il est alors très difficile de faire marche arrière à l’arrivée des premiers designers, ces derniers prenant vite le pli et restant culturellement les aiguillons opérationnels des équipes produit.

Ainsi, en haut de la pyramide, il n’y a très souvent aucun designer. Quasiment aucune startup française ne pense à avoir un designer au board, ceux-ci restant cantonnés très souvent à du management d’équipe, et restant assez loin des décisions de vision et de stratégie, chasse gardée des équipes produit et du C-level.

Pourtant, il n’est pas très compliqué de trouver des exemples connus d’entreprises à succès ayant adopté une approche stratégique du design. La plus connue, Apple, a été un pionnier en matière de design. Sous la direction de Steve Jobs, le design est devenu un pilier central de leur stratégie, propulsant l’entreprise vers le succès mondial que l’on connaît.

Dans la même veine, Airbnb, fondé par deux designers, Brian Chesky et Joe Gebbia, a également démontré l’importance de placer le design au sommet de l’entreprise. Leur approche centrée sur l’expérience utilisateur a révolutionné l’industrie du voyage. En mettant l’accent sur la facilité d’utilisation de leur plateforme et la création d’une expérience immersive pour les voyageurs, Airbnb a connu une croissance fulgurante et est devenue une référence dans le domaine de l’hébergement.

Les exemples sont légion : Coca-Cola, Nike, Tesla pour le design, et plus spécifiquement pour le design thinking, IBM, Intuit, IDEO, SAP.

Il est donc étonnant que malgré tous ces exemples, les startups françaises, pourtant extrêmement influencées par les méthodes de la Silicon Valley, entre autres, n’aient pas pris le pli, car c’est bien là que réside le rôle du design thinking selon moi. Il est fondamental car il est le bagage intellectuel et l’outil nécessaire pour que le design et ses fonctions puissent être positionnés au juste niveau dans l’organisation.

Sans pensée design portée au plus haut niveau de décision, le design reste verrouillé à des niveaux opérationnels (somme toute nécessaire).

Sans pensée design portée au plus haut niveau de décision, pas de design stratégique, pas de fonction design structurée, positionnée et calibrée pour délivrer toute la valeur et la richesse dont elle est capable.

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